Perfusion de vitamines par intraveineuse : soin, illusion ou business? Réflexion d’une diététicienne-nutritionniste sur une pratique marketing
Je suis Sophie Schoelinck, diététicienne-nutritionniste et certifiée universitaire en éthique des soins de santé, installée dans la région de Charleroi.
Comme promis, je réponds ici aux nombreux commentaires qui ont suivi ma publication sur les perfusions de vitamines par intraveineuse, récemment mises en avant dans la région.
L’occasion de démêler le vrai du faux, avec un brin d’ironie pour alléger le sujet.
Qu'est-ce qu'une perfusion de vitamines intraveineuse?
Les perfusions vitaminées consistent à injecter directement dans la veine un cocktail de vitamines censé booster énergie, immunité et bien-être. Présentées comme une « innovation santé », elles sont proposées dans certains centres privés… avec un vernis médical.
À retenir
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Une perfusion IV n’est pas un soin anodin mais un acte médical invasif.
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Elle est présentée comme « bien-être » alors qu’aucune preuve solide ne justifie son usage hors cas médicaux lourds.
La publicité médicale: une règle bafouée
Certains centres privés diffusent aujourd’hui des vidéos promotionnelles pour leurs perfusions vitaminées. Or, cela pose un problème majeur :
- La publicité pour des actes médicaux est interdite par le code de déontologie médicale.
Pourtant, la mise en scène d’un médecin en blouse blanche, adoptant un ton rassurant et paternaliste, donne au message une crédibilité immédiate.
Mais il ne faut pas oublier un élément essentiel : des patients fragilisés ou en souffrance (maladie chronique, problème de poids, épuisement) peuvent être particulièrement vulnérables à ce type de discours. La confiance envers la profession médicale est grande dans la majorité des cas et c’est justement cette confiance qui peut parfois réduire l’esprit critique.
Face à des promesses de soulagement rapide, certains n’hésitent pas à investir des sommes considérables, dans l’espoir de voir disparaître leurs difficultés.
Ce phénomène est renforcé par des alliances parfois discrètes entre centres de bien-être, laboratoires, et certains intervenants médicaux ou paramédicaux. Ensemble, ils contribuent à faire prospérer un marché lucratif.
Le paradoxe ?
On interdit la publicité pour un simple sirop contre la toux, mais on tolère la mise en avant d’un geste médical invasif, pourtant non justifié scientifiquement hors indications médicales précises.
Médecin = garantie absolue? Une réalité plus nuancée
L’argument classique est souvent le même : « Si c’est un médecin qui le propose, c’est sérieux. »
Or, il suffit de quelques recherches pour constater que la réalité est plus nuancée.
Quand le statut médical devient un argument marketing
Le fait d’avoir un médecin collaborant dans un centre confère immédiatement une image de sérieux. Aux yeux du public, cela inspire confiance et crédibilité.
Mais cette légitimité peut aussi être utilisée comme levier commercial. Dans certains cas, l’association entre centres de bien-être, laboratoires et praticiens médicaux ou paramédicaux ne vise pas seulement le soin, mais aussi le profit.
Des pratiques condamnées ou dénoncées
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Des médecins ont été condamnés pour avoir prescrit des plantes amaigrissantes ayant conduit des patients en dialyse.
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D’autres prescrivent encore, dans un objectif de perte de poids, des cocktails de substances détournées de leur usage initial : extraits thyroïdiens, insuline, diurétiques, laxatifs, amphétamines, pseudoéphédrine… Plusieurs affaires, relayées par la presse, donnent lieu à des poursuites judiciaires.
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Dans le domaine de la chirurgie bariatrique, certaines pratiques interpellent :
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rétrécir artificiellement la taille inscrite au dossier pour gonfler l’IMC,
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conseiller au patient de prendre du poids pour entrer dans les critères opératoires,
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ou encore proposer des réductions financières si l’intervention est réalisée avant une date précise.
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Ces situations ne reflètent évidemment pas la majorité de la profession médicale, qui agit avec rigueur et éthique. Elles rappellent cependant que la blouse blanche ne doit pas être perçue comme une garantie absolue d’objectivité ou de pertinence scientifique.
Qu’en est-il de la formation en nutrition ?
Dans le cursus médical de base, les étudiants suivent environ 25 heures de nutrition.
Il existe bien des formations complémentaires comme des certificats interuniversitaires ou des diplômes universitaires (DU) qui peuvent aller jusqu’à 135 heures.
Mais ces formations ponctuelles ne sont pas comparables à un bachelier en diététique de 3 ans, centré sur la nutrition, l’alimentation et leurs impacts physiologiques et psychologiques.
En clair : suivre une formation en nutrition n’équivaut pas à devenir diététicien, pas plus que suivre une spécialisation en nutrition gériatrique ne fait de vous un gériatre.
Et c’est bien compréhensible : les médecins, au cours de leurs études, doivent aborder un éventail immense de pathologies et de disciplines. La nutrition ne peut être qu’un volet parmi d’autres. C’est précisément pourquoi l’expertise des diététiciens est complémentaire et essentielle.
Le chiffre
Moins de 25 heures consacrées à la nutrition dans le cursus médical de base, contre 3 années de formation complète pour un·e diététicien·ne.
Les risques des perfusions vitaminées
Une perfusion intraveineuse expose à des risques bien réels :
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Infections,
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Septicémie,
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Réactions allergiques graves.
Et côté bénéfices ? Les institutions de santé sont claires :
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Revue Prescrire (2020) : efficacité non démontrée.
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Harvard Health (2018) : aucun intérêt sauf en cas de déficit sévère ou de coma.
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Collège des médecins du Québec et RTS Suisse : pratique préoccupante.
À retenir
Une perfusion vitaminée peut être dangereuse… et ne sert à rien si vous n’êtes pas en déficit sévère.
Le parallèle avec les compléments alimentaires
Pour mieux comprendre, regardons le marché des compléments alimentaires.
Ils sont officiellement définis comme des denrées alimentaires destinées à compléter un régime normal.
En clair : ils n’ont jamais eu vocation à remplacer un repas équilibré, et encore moins à être injectés directement dans une veine.
Les chiffres
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En 2024, le marché français des compléments alimentaires = 2,9 milliards d’euros, multiplié par 4 en 20 ans.
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61 % des Français en consomment, dont 72 % les jugent efficaces (sans toujours de preuves scientifiques solides).
Et qui recommande ces produits ? Des prescripteurs (médecins, pharmaciens, diététiciens, naturopathes) dont la formation est très variable. Bref : une autorité parfois brandie comme argument marketing, mais pas toujours fondée sur une expertise approfondie.
"Académie", soutiens et petits coeurs...
Cerise sur le gâteau : une « académie » autoproclamée s’est « spontanément » invitée pour défendre ces pratiques à la suite de ma publication, sur ma page professionnelle Facebook, aux côtés de militants pro-IV.
C’est un peu comme si une marque de biscuits venait s’inviter dans un débat sur l’équilibre alimentaire pour défendre mon point de vue.
Ajoutons à cela les soutiens improvisés, prompts à brandir des cœurs pour défendre le médecin, sans connaître ni la loi, ni les preuves scientifiques.
Un bel exemple de communication émotionnelle, loin d’un vrai débat scientifique.
Un.e diététicien.ne peut-il.elle en parler?
Certains m’ont reproché de ne pas être médecin. Pourtant, après 24 ans d’expérience, une spécialisation en nutrition et une certification en éthique des soins de santé, je peux légitimement alerter sur une pratique trompeuse.
Je ne cherche pas à attaquer la profession médicale.
Mon objectif est de rappeler que la santé n’est pas hiérarchisée en fonction d’une seule profession : chaque acteur de soin apporte une expertise différente et complémentaire.
En nutrition, la formation d’un·e diététicien·ne est spécifique et approfondie, ce qui en fait une référence dans ce domaine.
Et pour être équitable...
Puisqu’un centre de la région a déjà pris la liberté de partager mon image sans autorisation – un geste qui enfreint la loi sur le droit à l’image – je l’invite cordialement à partager également cet article.
Ce serait une belle occasion de montrer son attachement au débat éthique et scientifique. Après tout, si l’on diffuse volontiers une photo personnelle, pourquoi hésiter à relayer un texte argumenté et sourcé ?
En conclusion: la perfusion vitaminée = business
Appelons un chat un chat : les perfusions de vitamines intraveineuses proposées par certains centres privés relèvent plus du business que du soin.
Le patient n’est plus un sujet de santé, mais une cible commerciale.
En tant que diététicienne-nutritionniste, je continuerai à défendre :
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Une approche scientifique,
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Une pratique éthique et déontologique,
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Et l’intérêt du patient.
Parce que la santé ne doit pas devenir un argument publicitaire.
Références scientifiques:
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Revue Prescrire. Perfusions de vitamines : efficacité non démontrée. 2020.
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Harvard Health Publishing. IV vitamin therapy: Is it safe? Does it work? 2018.
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Collège des médecins du Québec. Mise en garde sur l’utilisation des perfusions de vitamines.
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RTS Suisse. « Les perfusions vitaminées : entre bien-être et business », 2020.
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Rousseau-Ralliard D., Chanséaume-Bussiere E. Les compléments alimentaires – des prescripteurs aux consommateurs sur le marché français. Cahiers de Nutrition et de Diététique, 60 (2025) 225-235.
Sophie Schoelinck
Diététicienne-nutritionniste – Certifiée en éthique des soins de santé, région de Charleroi
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