Lettre aux diététicien·nes Et si nous élargissions notre regard ?
Une réflexion ouverte sur notre posture de soignant
Diététicienne à Charleroi depuis 24 ans, je vous partage ici une lettre née d’une réflexion intime sur notre métier.
Je l’adresse à mes collègues, mes pairs, à celles et ceux qui comme moi se posent des questions sur le sens de notre pratique, la posture que nous adoptons en soin, et la place que nous donnons à l’émotionnel dans l’accompagnement nutritionnel.
Mon parcours, entre nutrition, hypnose et éthique
Depuis 10 ans, j’ai élargi ma pratique avec l’hypnose clinique, et j’ai suivi une formation en éthique des soins de santé.
Cette formation m’a apporté une sensibilité particulière à la justesse des mots, à la posture soignante, et à l’impact du langage dans la relation thérapeutique.
Car les mots ne sont pas neutres.
Ils peuvent enfermer ou libérer.
Ils traduisent souvent notre regard sur le patient – et donc notre manière d’accompagner.
Un outil né du terrain : le jeu Pwa et Moi
Au fil des années, j’ai ressenti le besoin de créer un outil d’accompagnement thérapeutique adapté à mes consultations.
Ce jeu ouvre un espace de parole autour de l’alimentation émotionnelle, de l’image corporelle, du poids, du récit de vie alimentaire.
J’ai souhaité partager cet outil avec mes collègues diététicien·nes.
Non comme une solution miracle, mais comme une proposition de posture différente, plus globale, plus humaine.
Une retenue partagée : sommes-nous légitimes pour aller là ?
En présentant ce jeu, j’ai observé une certaine réserve : une retenue à l’idée d’aborder le vécu émotionnel ou l’histoire de vie.
Comme si cela sortait du cadre.
Comme si accueillir les émotions du patient n’était pas de notre ressort.
Et cela m’interroge profondément.
Peut-on accompagner sans écouter ce qui déborde ?
Je me demande :
Peut-on réellement accompagner une personne dans son comportement alimentaire, sans l’écouter dans ce qu’elle vit ?
Sans entendre ce qui ne se mesure pas, ce qui ne rentre pas dans les plans alimentaires, ce qui touche à son histoire personnelle ?
Les patients eux-mêmes formulent ce besoin :
"Je veux être écouté dans ma globalité."
"Je ne veux pas juste qu’on me dise quoi manger."
"Je veux qu’on comprenne ce que je vis."
Alors, et si nous pouvions faire autrement ?
Vers une culture commune du soin ?
Je ne parle pas ici de tout faire.
Ni de devenir psychologues.
Mais peut-être d’inscrire notre travail dans une approche interdisciplinaire du soin, dans laquelle chaque professionnel – diététicien, médecin, psychologue, thérapeute – cultive une base commune :
- L’écoute
- La reformulation
- La verbalisation du vécu
Des outils simples mais profonds, qui ne relèvent pas d’un seul métier, mais des fondations du soin relationnel.
Construire des espaces partagés, pas des frontières
Et si, plutôt que de défendre des territoires professionnels, nous construisions des zones de rencontre ?
Des espaces de coopération où chacun garde sa spécificité, tout en avançant ensemble vers un accompagnement global du patient ?
Sans empiéter.
Sans se retrancher.
Sans se diluer.
Mais sans se fermer non plus.
Je crois que ce chemin est possible.
Et qu’il commence peut-être par là : oser se rencontrer entre disciplines, avec respect et ouverture.
Deux mondes, deux façons d’agir
En présentant mon outil, j’ai aussi vu les tensions entre deux univers :
- Celui du soin conventionnel, rigoureux mais parfois rigide.
- Celui du bien-être, plus intuitif mais parfois flou.
Et je pense à cette image :
Deux coureurs.
L’un part avec ses doutes, ses limites, mais il avance.
L’autre attend que tout soit parfait… et ne part jamais.
Et nous, où en sommes-nous ?
Dans quel espace nous situons-nous, nous diététicien·nes ?
Qu’est-ce qui nous retient ?
Qu’est-ce qui nous freine à aller là où les patients nous attendent : dans une écoute plus globale, plus humaine, plus sensible ?
Une invitation à réfléchir ensemble
Je n’ai pas de réponses toutes faites.
Mais j’ai l’intuition qu’une autre voie est possible.
Une voie plus humaine, plus respectueuse de la complexité de chacun, et peut-être plus alignée avec ce que les patients espèrent… sans toujours savoir le formuler.
Alors je vous écris simplement pour ouvrir un espace de réflexion.
Pour poser ces questions.
Et pour dire que si vous vous les posez aussi, nous sommes sans doute plus nombreux que nous le pensons.
Sophie Schoelinck
Diététicienne près de Charleroi – Praticienne en hypnose clinique – Formée en éthique des soins de santé
Créatrice de l’outil Pwa et Moi
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